Antonin Néel dans le cadre des « Solos de Noël » à L’Arrosoir (71) fin 2020.

Crédit photo : Médéric Roquesalane

Lucas Le Texier

Les nouveaux moyens de mobilité et de diffusion facilitent les rencontres et les échanges entre les jazz(wo)men du monde entier. Dans un double mouvement d’attachement et d’émancipation de la région, la jeune génération du jazz made in BFC manifeste l’envie de développer le jazz à l’échelle régionale tout en élargissant ses perspectives de carrière à l’international.

Au XXème siècle, le jazz, musique née aux Etats-Unis, s’est exporté dans le monde entier et la région ne fait pas exception à la règle[1]. Le jazz a trouvé son public, des passionnés pour le diffuser, et des musicien(ne)s pour l’interpréter. Cela pose les questions suivantes : de quoi vit la jeune génération du jazz made in BFC et comment envisage-t-elle le rapport à son territoire ?

Les concerts sont une source de revenus régulière pour les jeunes musicien(ne)s. Bien souvent, les jeunes interprètes de jazz se forment dans des évènements privés de type mariages, anniversaires, concerts dans des bars… Pour autant, cela ne suffit guère pour subvenir à leurs besoins.

L’intermittence est une solution pour beaucoup d’entre eux, bien que celle-ci soit généralement récente. Depuis un an environ pour Sidonie Dubosc (voc) et Martin Schiffmann (p), depuis quelques mois pour Corentin Lallouët (sax). Christopher Peyrafort (g) est maintenant dans le circuit depuis un certain temps, avec ses six années au compteur. Fréquemment, les cours font partie des moyens commodes pour gagner un peu sa croûte. Christopher Peyrafort, Martin Schiffmann et Corentin Lallouët cités ci-dessus ont été profs avant de décrocher l’intermittence. La plupart du temps, il faut cumuler plusieurs petits postes, comme pour Constantin Meyer (tb), au conservatoire de Pontarlier, de Besançon, et dans une école de musique à Pouiller-les-vignes.

Joseph Bijon (g) et Clément Merienne (p) sont toujours en études. Il leur faut alors jongler entre l’argent des concerts, les aides sociales et l’aide de leurs parents. Antonin Néel (p) et Jeanne Flandrin (cb) possèdent pour le moment un travail alimentaire à côté de leur vie de musicien. Un point commun ressort de cette enquête : ils aspirent tous à vivre de la musique.

Reste la question du rapport au territoire. Assez vite, la région est apparue comme importante dans le projet de vie de cette jeune génération. Pour cette jeunesse qui s’est formée dans les conservatoires du coin et qui s’est donc constituée un réseau, la région peut être l’une des pistes pour vivre de son art. « Tu sais avec qui jouer, à qui demander pour jouer, et où demander pour jouer », me résumait Joseph Bijon. Tous les interviewé(e)s brossent le portrait d’une Bourgogne-Franche-Comté dans laquelle on trouve de très bons musicien(ne)s, des lieux pour se produire et des dispositifs pour le faire. Le CRJ y prend une grande place avec ses missionnements, on l’a déjà vu. Il y a aussi la volonté de s’investir dans la région plutôt que de rejoindre des grosses villes : « C’est stimulant d’être acteur dans des pôles secondaires de musique, et de créer des petits foyers de musiciens locaux » m’expliquait Antonin Néel. Echo similaire chez Martin Schiffmann qui comprend le départ des musicien(ne)s vers de grandes villes comme Paris « pour le niveau » tout en le regrettant pour la région.

Avec une mobilité de plus en plus aisée et des tremplins et organisations qui s’internationalisent ou s’européanisent, il est probable que les carrières de cette jeune génération, tout en se prémunissant du local, prennent en compte les enjeux liés au global. La région dispose d’un atout non négligeable : certains musiciens profitent de la proximité avec les pays limitrophes pour y développer leur réseau, comme l’ont fait Joseph Bijon, Constantin Meyer ou Christopher Peyrafort en Suisse. Certains ponts entre la région BFC et l’Europe se consolident d’ores et déjà : Clément Merienne, après trois ans au CNSM, s’est inscrit en master à Oslo, en Norvège : le jeune pianiste espère réussir à y monter un collectif et de les rapatrier fin juin à l’Arrosoir de Chalon lors d’un festival de deux jours.

Local et global. Deux attitudes complémentaires pour les jeunes interprètes de jazz. Le souci de développer son réseau ailleurs et se faire connaître le plus largement possible est important. Dans un monde de plus en plus interconnecté, l’attachement à la région reste primordial pour ces jeunes interprètes, sans pour autant être une finalité en soi. Nul doute qu’un entre-deux est possible : se faire une place sur la scène du jazz européen voire international, et cultiver son ancrage dans la région. Rien de nouveau finalement, si l’on regarde le parcours d’un Frank Tortiller, mais les nouveaux moyens de diffusion et de mobilité dont bénéficient la jeune génération du jazz made in BFC n’ont jamais rendu aussi facile les rencontres et les échanges.

Ce dossier découpé en trois parties (en janvier-février-mars 2021) accompagne la sortie des interviews de Martin Schiffmann, Joseph Bijon et celui d'Antonin Néel sur le magazine en ligne PointBreak.

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[1] Pour la Bourgogne, voir les travaux de Michel Pulh et du CRJ : Michel Pulh, Au fil du jazz. Bourgogne, 1945-1980, Neuilly-lès-Dijon, Editions du murmure, 2011, 316 p ; Laure Marcel-Berlioz et al (dir.), Bourgogne, une terre de jazz. 1980-2010, Neuilly-lès-Dijon, Editions du murmure, 2015, 249 p.

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