Guillaume Malvoisin

Crédit photo : Florian
Jannot-Caeilleté

En jetant un œil, même rapide, on le voit assez bien, le jazz est un répertoire poreux. Syncrétisme des origines, systématisme fragile des courants internes, ce registre en connait plus sur la démocratie que n’importe que mouvement militant. Organisée à Belfort le 31 janvier dernier, la Jazz Session #3 jouait, au CRR du Grand Belfort, avec les vases communicants. Porosité esthétique et croisements des publics étaient sur l’établi de la table ronde de la journée.

Roger Fontanel, directeur du Centre Régional du Jazz en BFC, en fait un sujet d’actualité :

Les acteurs du jazz et ceux des musiques actuelles partagent tous cet objectif d’élargissement des publics, les clubs, les festivals de jazz ou les SMAC qui souhaitent ouvrir leur programmation.

Doit-on alors nécessairement choisir entre démarche artistique et stratégie marketing ? Arnaud Merlin, modérateur de cet échange, repose ainsi les termes du débat :

« il y a 15 ans, on aurait posé la question du métissage », mot disparu pour raisons d’évolutions de langage voire sans doute aussi de politique. Un musicien se définit-il par rapport à une esthétique ? Pour Sarah Murcia, contrebassiste, chanteuse, entre autres affinités, la question reste ambiguë : « Je n’ai jamais été une musicienne de jazz ou de rock. J’ai toujours tout pratiqué. Je réfléchis d’abord à ce que je veux raconter. L’esthétique devient un outil. Mais je me heurte » aux programmateurs. « Maintenant, il faut venir jouer avec une thématique. C’est un peu triste. » La thématique, solution ou source de malentendu ? Les programmateurs sont-ils encore des prescripteurs de confiance ? Sarah Murcia souligne qu’on entend souvent :

« On ne peut pas vraiment faire cela devant tel public mais je crois que, si on est sincère » sur ce qu’on raconte, « on peut conquérir qui on veut. Il m’est arrivé de jouer des musiques ardues devant des gens qui n’y connaissaient rien mais qui en étaient ravis. »

Sarah Murcia, musicienne et chanteuse.

Sarah met en jeu, aussi, la question de la jeunesse, souvent absente aux concerts. Julien Lhuillier, enseignant au CRR de Belfort, évoquera plus tard  « le coût d’une place de concert » qui « induit de savoir de quoi il retourne avant de sauter le pas ». La question devient : « est-ce que je fais confiance à la salle qui programme ? ». Faut-il, par exemple, élever les kids au jazz dès le plus jeune âge ? Jean Delestrade, un des directeurs artistiques de Jazzus à Reims, scop installée depuis un an dans un lieu qui brasse, Le Shed, répond par l’affirmative : Jazzus kids, c’est un cycle de concerts et d’ateliers présent dès le début du projet de Jazzus, pas seulement un complément de la programmation. Sur la saison, les rendez-vous sont communs aux enfants et aux parents qui ne sont pas forcément des spectateurs de jazz mais qui peuvent le devenir ensuite.

Et revenir ? Anne-Cécile Chazal, directrice adjointe en charge de l’artistique d’Echo System à Scey/Saône expose avantage et convient d’un label comme le label SMAC. « Le label a assis notre structure et son lieu. Proposer des esthétiques hors de ce que les gens connaissent, reste compliqué. Il faut savoir s’entourer et faire appel à des ressources régionales pour créer du lien. Pour le jazz, on travaille avec Cyclop jazz de Besançon ou le festival Be Bop Or Be Dead. » Il reste à « faire bouger les formats de concerts, la convivialité des lieux et l’accueil du public en lui donnant la possibilité de devenir bénévole » et d’intégrer le projet du lieu. Pour Cédric Chemineau, directeur de la Cartonnerie, SMAC de Reims, les croisement sont assez simples : « L’ergonomie et le cahier des charges du lieu » le permettent. « Il faut que l’équipe et le public répondent à cette envie. À Reims, Jazzus est installé à côté, on a pu donc pu croiser des actions comme les rencontres entre des rappeurs et jazzmen. »

Roger Fontanel interroge cette possibilité qu’a le croisement des répertoires à favoriser la venue du public.

Il faut dépasser les premières rebuffades des habitués du jazz qui attendent voire exigent des bonnes conditions d’assise et d’écoute.

Cédric Chemineau , directeur de la Cartonnerie

La France et ses cases adorées dans lesquelles le public aime lui aussi se ranger. Certains lieux ont pourtant d’eux-mêmes abandonnés le mot jazz, pour ne plus faire peur ou rendre compte d’une pratique transformée. Il faudrait pouvoir lire le public avant sa venue. David Demange, directeur du Moloco, SMAC d’Audincourt : « On est capable de deviner quel public viendra puis de partir de la musique pour bâtir des plateaux en sortant de la logique tête d’affiche/première partie. On a ainsi pu mélanger Dälek avec un set de Guillaume Perret. Notre rôle, c’est de tenter » ce genre de couplages pour « que les gens viennent passer un bon moment », c’est une donnée à ne jamais mettre de côté. Jean Delestrade réactive les enjeux d’une nouvelle génération qui a été bercée par le mélange des esthétiques et qui « arrive aux postes de programmation et de direction ». Avec un constat sans âge, certes, mais nécessaire à rappeler : « il y a une habitude qui peut se créer, c’est cette habitude qui dédramatisera les répertoires. Le geste de programmation doit pouvoir être répété pour pouvoir aboutir ».

Tempus fugit, disait certains.

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