Crédit photo : Minila D’Souza

Pascal Anquetil

Né il y a 25 ans en Côte d’Or, ce jeune poète des baguettes s’est vite imposé par son intelligence des rythmes, sa qualité d’écoute et son sens aigu du collectif comme un tambour majeur du jazz français d’aujourd’hui. Portrait d’un surdoué tout à la fois humble, curieux et ouvert sur l’avenir.

Elevé dans une famille musicienne – son père Michel Martin est contrebassiste et professeur de jazz, sa mère Sophie Charrière est pianiste et accompagnatrice – Elie grâce au cadeau d’une batterie jouet à l’effigie de Michael Jackson a pu très jeune, jusqu’à l’âge de dix ans, « faire des rythmes » et s’amuser à improviser avec son père, bref jouer « au » jazz avant d’apprendre à l’école de musique de Meursault, puis de Beaune à jouer « du » jazz et d’intégrer adolescent le CRR de Chalon-sur-Saône pour y parfaire sa technique de batteur. En 2013, il est brillamment reçu au département jazz du CNSM de Paris où il restera jusqu’en 2017. Il y bénéficiera de l’enseignement éclairé du batteur belge Dré Pallemaerts « Il enseigne tout sauf la batterie. Il a une oreille exceptionnelle et une façon très originale de se placer dans le son. Dans la musique, à chaque fois qu’il joue, il amène une espèce d’onde, une tension tout en souplesse, un fil d’énergie constante vraiment extraordinaires et dont j’essaie de m’inspirer aujourd’hui. »

Ainsi, avec détermination et humilité, Elie développe à sa main et manière une autre idée de la batterie, instrument qu’il pense d’abord comme un piano. « J’essaie de jouer de la batterie dans la logique du piano avec toute l’étendue de son spectre tant rythmique que mélodique. Sur cet instrument, on dispose d’une multitude de sons qui, accentués différemment, peuvent sonner soit un peu plus aigu, soit un peu plus grave pour ainsi produire des vagues de hauteur variable. » Dans sa jeunesse trois batteurs de jazz lui ont « tapé dans l’oreille » : Brian Blade au sein du quartette de Wayne Shorter, «ce Maître Yoda du jazz qui, dans un esprit de partage collectif permanent, invente à chaque nouveau concert une musique de tous les possibles et de tous les risques. » Ensuite Paul Motian, immense mélodiste des rythmes qui aimait donner comme personne de l’espace et du silence à toute sa musique. Enfin et d’abord Tony Williams, le premier batteur qui l’ait vraiment marqué lors de son apprentissage. « Je l’ai découvert ébloui au sein du second quintet de Miles Davis, puis à la tête de son Lifetime. Il reste pour moi l’une des plus grandes énigmes de l’histoire du jazz. Comment à 17 ans seulement peut-on jouer face à Miles avec une telle assurance, liberté et inventivité ? Dré Pallemaerts m’a dit qu’il faudrait que je choisisse un jour entre Tony Williams et Elvin Jones. Au début je n’ai pas compris ce que ce conseil signifiait. Je pense aujourd’hui avoir trouvé la réponse. Alors que Tony Williams est un batteur explosif très individualiste, Elvin Jones est au contraire un percussionniste prioritairement au service du collectif, toujours, selon sa propre expression, «prêt à mourir ensemble » pour trouver et assurer le son de groupe le plus énergique et dynamique possible. »

Si l’on en croit Pierrick Pédron qui avait repéré le talent d’Elie dès 2013 en tant que membre du jury du concours d’entrée au CNSM et qui l’a depuis, en 2017, invité à le rejoindre dans son nouveau quartet en compagnie de Carl-Henri Morisset, le jeune batteur surdoué aurait aujourd’hui choisi son camp. Celui d’Elvin Jones. « Ce qui me fascine le plus chez Elie, affirme en effet le saxophoniste alto, c’est son exceptionnelle capacité à faire sonner une formation. » A quoi Elie répond, modeste : « Je dois à Dré de m’avoir appris à me placer dans la musique. Je ne me considère pas comme un rythmicien condamné à jouer derrière les autres. Pour prendre une métaphore footballistique, je serais plutôt le genre de joueur défensif que l’on voit constamment à l’avant. En tant que batteur, je ressens beaucoup de responsabilité mais aussi de liberté dans ma manière personnelle d’orchestrer les dynamiques de la musique de tous ceux que j’accompagne. On peut faire sonner un groupe en connaissant bien chacun de ses membres, mais aussi en sautant librement dans l’inconnu. Ce que j’adore faire aujourd’hui, c’est fermer les yeux, ouvrir les oreilles et me demander ce qui serait bien de jouer à la batterie à ce moment-là. De quoi la musique a-t-elle besoin ? Qu’est-ce qui manque ? Faut-il y ajouter des cymbales ou juste un peu de caisse claire/grosse caisse quelque part ? Mon rôle de batteur consiste à favoriser l’échange et la confiance collective, par exemple en aidant et encourageant un musicien quelque peu intimidé ou timoré pendant une session à lâcher prise et à ainsi mieux participer au son d’ensemble du groupe.»

Tout ceci explique qu’Elie Martin-Charrière soit aujourd’hui à 25 ans un musicien très occupé et demandé. Parmi les nombreux groupes dans lesquels il officie, citons le trio du pianiste surdoué Noël Huchard (album « Song for » – label Family Jazz), le trio du jeune accordéoniste prodige Noé Clerc (album « Secret Place » – label NoMadMusic), le groupe du tromboniste Robinson Khoury (album « Frame of Mind » – label Gaya Music) sans oublier bien sûr le quintette de Pierrick Pédron dont l’album « Fifty Fifty (2) Paris Sessions » devrait sortir à l’automne sur le label Gazebo. En  dehors de toutes ces participations, Elie reste fidèle à H !, formation qu’il a monté dès 2014 au CNSM avec le pianiste Carl-Henri Morisset et le contrebassiste bourguignon Etienne Renard (album « Live @ Crescent Jazz Club » sorti en 2019). Selon le pianiste Pierre de Bethmann, ce trio quasi télépathique est « l’une des plus belles pépites de la nouvelle génération du jazz de ce coin du globe ». Ne se refusant pas à tester un temps le réseau pop, tout en étant conscient de ses pièges et dangers, le batteur a récemment accepté de charger un peu plus son agenda en accompagnant le très prometteur chanteur de R’n’B Oscar Emch.

Affaire à suivre.

Pour aller plus loin :

Chronique disque de son EP Merry Christmas & **** 2020
Chronique disque du H! Quartet Live @ Crescent Jazz Club

Présentation du projet Frame of Mind de Robinson Khoury dont il est le batteur.

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