Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Magazine
Magazine
1
Michel Pulh
Crédit photo : Simon Lambert
Ce nâest pas dâaujourdâhui que le jazz sâest affranchi de
toutes les frontières. Il ne sâinterdit aucune incursion dans quelque genre que
ce soit et va jusquâà glaner ses hommages hors la musique.
Ãvoquons dâabord un écueil, pour ne plus y revenir : un
hommage, avertit Guillaume De Chassy, peut « sâavérer stérile » ; sâil procède « de la paresse ou de lâopportunisme de
lâartiste (ou de ses commanditaires) », sâil nâest quâ« une béquille, un prétexte » Ã
fins commerciales complète Didier Levallet. Mais plutôt que les béquilles, un
musicien peut préférer les entorses et faire dâun hommage une démarche « créative », à même de « révéler [sa] personnalité » (G. De
Chassy).
Dans ses trois premiers opus, le trio Fidel Fourneyron, Geoffroy Gesser, Sébastien Beliah a jeté son dévolu sur des compositions, en grande partie be-bop (Un Poco Loco 2014), sur West Side Story (Feelinâ pretty 2016) et sur Charlie Parker (Ornithologie 2020). « Au-delà dâun simple hommage – explique G. Gesser, notre volonté [a été] de reprendre une Åuvre qui nous touche et dây incorporer nos sons, nos règles pour lui faire prendre un autre visage. » Lâesprit du Théo Ceccaldi Trio est voisin : Django (2019) affiche certes deux compositions du guitariste gitan (Rythme futur, Manoir de mes rêves) et cite fugitivement Minor swing dans Balancelle et chèvrefeuille, mais câest essentiellement une musique originale que lâon écoute, où des compositions, câest vrai (Brûle roulotte, Nin-Nin je tâaime), filent la métaphore.
La « fusion du
mélomane et du musicien » chez Daniel Yvinec, dénote son éclectisme. Broadway in Satin (2009) célèbre Lady Day, Around Robert Wyatt (id.) le batteur et
chanteur de Soft Machine. Piazzola !
(2012), réalisé au sein de lâONJ, adopte le tango, Nino Rota (2019) largement lâonirisme fellinien. David Bowieâs Blackstar (id.) enfin réunit
à nouveau les musiciens du dernier album du chanteur, publié peu de temps avant sa mort.
Tous ces hommages sont matière à « réappropriations ».
Ils entendent « sâen inspirer et en
prolonger [l’]élan créatif. » Véritable catalyseur, D. Yvinec
sâemploie à « gérer les énergies et
les talents » des musiciens. Nino Rota et David Bowieâs⦠sont par
ailleurs des commandes, de « la
direction de la musique de Radio France », du Rhino Jazzs Festival
(Saint-Chamond).
Dirigé collégialement par Bastien Ballaz, Jon Bouteiller, David Enhco et Fred Nardin, lâAmazing Keystone Big band (AKBB) doit pour sa part beaucoup à Jazz à Vienne. 28 juin 2012 dans le Théâtre antique, « 6 000 enfants » découvrent Pierre et le loup⦠et le Jazz ! Nouveau squat dans Le Carnaval Jazz des Animaux (2015). Chez Prokofiev ou chez Saint-Saëns, les instruments de musique sont des figures majeures ; belle aubaine pour les pupitres de lâAKBB : ils « [sâ] amusent » à y faire écouter le jazz dans son « incroyable diversité ». Création et didactisme « ludique » se retrouvent dans Django extended (2017) et We Love Ella (2018). En effet, « deux contes » les secondent : Mr Django et Lady Swing et La voix d’Ella « permettent de découvrir sous un autre jour la musique et la voix » de ces deux figures majeures du jazz. Friand de fantaisie et dâétrangeté, lâAKBB annonce se pencher sur le cas dâ« une jeune fille accro aux champignons »⦠Jazz de lâautre côté du miroir ?
Une proposition de la Philharmonie de Paris à voir Guillaume
De Chassy réaliser un programme Barbara a ravivé chez lui « un souvenir indélébile de [son] enfance. »
La chanteuse, cet « alliage
paradoxal de fragilité et de force, de sensibilité à fleur de peau et dâénergie
volcanique fait tellement partie de ma vie » confie-t-il. Le musicien
sâest laissé convaincre dâune rencontre seul à seul avec son piano. Méditatif
autant quâenlevé Pour Barbara est apparu en 2017. Suivra, en trio, Letters to Marlene. Plus que la star ou la
chanteuse que fut Marlene Dietrich, câest encore « la femme, son parcours de vie et ses engagements, [qui] fascine »
ici G. De Chassy.
Suivant celui rendu aux Sex Pistols (Never mind the future.
2015), Sarah Murcia vient (25 janvier à Lorient) de rendre hommage à une Åuvre
littéraire. My Mother is a fish est
une véritable gageure, celle de transposer en musique et en chansons Tandis que jâagonise de William Faulkner.
Changement de registre ? « Je
trouve lâunivers de Faulkner extrêmement romanesque. Jâai lâimpression quâil
sâaccorde bien avec la musique que jâimagine, le côté à la fois très brut, très
rockânâroll, parfois complexe, et aussi très libre. » La contrebassiste
a choisi pour titre « la phrase
emblématique du roman », dite par un petit garçon qui « confond sa mère morte avec un poisson quâil
a tué et découpé. [Elle] résume à la fois la puissance de lâévénement, la
grande liberté poétique de Faulkner et lâessence même du roman choral. »
Il a donc fallu rapprocher les différents monologues qui construisent le récit
littéraire dâun discours musical et de paroles de chansons, composées « toujours des mots » de lâécrivain.
« Lâhommage permet
de trouver sa propre liberté au sein dâune contrainte forte », estime
Sarah Murcia. En outre « il crée un
lien avec le spectateur car il fonctionne sur lâinconscient collectif, la
référence ».