Michel Pulh

Crédit photo : Hervé Goluza

Inspirateurs, références, vedettes ? Qu’est-ce qui suscite ces jeux de mémoire et d’admiration, ces présents du passé que sont les hommages, ou tribute to – jazz oblige ? Intimes, esthétiques, attendus : quels désirs les animent ?

Sur France Musique, le « swing irrésistible ! » de la flûte de Frank Wess dans Secrets subjugue Patrick Rudant. « Écrin orchestral idéal pour [son] instrument », du Kansas City 7 de Basie (1962) il a acquis « une partie de [son] ADN musical ! » suivi d’un « relevé intégral » des morceaux. En septembre 2012 le flûtiste présente son Kansas City 7.1 au Centre hospitalier spécialisé de Sevrey (71) où un festival participe à l’isolement des patients. Pour jouer à ses côtés, P. Rudant a choisi des musiciens qui sont « en grande partie des autodidactes du jazz. ».

Philippe Simonet a pour sa part trouvé son université du jazz dans le Big Band Chalon Bourgogne qui, très tôt, a emprunté aux répertoires de Basie et d’Ellington qui gardent les faveurs du public, bien que l’orchestre ait par la suite rendu hommage à Sinatra, Paul Anka, Phil Collins – qu’en sera-t-il du récent Tout pour Lopez ! ?. Sur Sophisticated Lady, le solo de Harry Carney, « très dur, mais super-beau », revient au saxophone baryton.

Avant même d’opter pour l’instrument, P. Simonet avait été captivé par cette « petite formation, sans instrument harmonique » des années 1950 : le quartet sans piano de Gerry Mulligan et Chet Baker. Quarante années plus tard, avec des compagnons passés eux aussi par le BBCB, il se lance dans un Hommage qui porte indifféremment le nom de l’un ou l’autre musicien. « Tu n’as plus le soutien de quelqu’un qui te joue des accords. Tu es vraiment l’équilibriste sur son fil. Il te faut alors trouver ton son ; ce gage d’identité avant la note que tu vas jouer. »

« Faire du nouveau vin dans des vieilles bouteilles » ? L’image de Fidel Fourneyron s’applique à Un Poco Loco (2014). À l’instar des boppers eux-mêmes, Geoffroy Gesser, le saxophoniste du trio, explique : « Notre volonté est de reprendre une œuvre qui nous touche et d’y incorporer nos sons, nos règles pour lui faire prendre un autre visage. » En créant ainsi « des structures et des règles qui [l’]amènent à inventer de nouvelles formules musicales », Un Poco Loco est bien dans « la tradition du jazz. »

Ce que l’on fait de notre héritage musical, comment nous vivons avec et comment nous le développons au fil de nos parcours 

« Ce que l’on fait de notre héritage musical, comment nous vivons avec et comment nous le développons au fil de nos parcours » sont autant d’interrogations qui accompagnent Franck Tortiller dont certaines créations s’apparentent à un journal intime[i]. Certainement dès Les Jours de fête (1994), ode à la « poésie » souriante et décalée et aux musiques, « un peu hors du temps, un peu démodées », des films de Jacques Tati. Vitis Vinifera (1997) et Sentimental 3/4 (2008) ne font-ils pas retour au pays natal, jusqu’aux bals où le jeune Franck a joué aux côtés de son trompettiste de père ? Quant à Led Zeppelin (Close to Heaven, 2006), Janis Joplin (Janis the Pearl, 2012), et Frank Zappa (Shut up’n sing yer Zappa, actuellement) « qui faisaient une musique inventive, quelquefois subversive, [ils] ont jalonné [sa] vie de musicien. »

Grand chœur amateur, mixte mais surtout féminin, Singall s’attache avec enthousiasme à populariser la musique africaine américaine. Comme en général il s’adresse à un public qui la connaît mal, il lui faut « retrouver l’émotion » en restant « relativement fidèle à l’original » indique Sébastien Vaivrand, son directeur artistique. Ainsi a-t-il conçu les arrangements de l’hommage rendu en 2012 à la Reine de la Soul, Aretha Franklin. La source du Tribute to Ray Charles (2016) du Collectif AJIR (soit Ain, Jura, Isère, Rhône, à quoi il faut ajouter les deux Savoie), évoquée par son président Joël Jacquet, ne manque pas de surprendre : une réunion du Genius et du Count Basie orchestra en 2005. Plus qu’improbables puisque post mortem. Les 18 musiciens amateurs, augmentés d’un chanteur et de quatre choristes, n’ont donné qu’un seul concert, à Lons-le-Saunier. Cette année, AJIR va présenter Autour de Nougaro.

Malgré sa brièveté, la vie artistique de Michel Petrucciani a été des plus riches et inspirantes. Le musicologue et pianiste Benjamin Halay peut en témoigner : il a mené de front une biographie du pianiste (Michel Petrucciani, Éditions Didier Carpentier, 2011) et un Hommage musical, créé en 2010. Celui-ci bénéficia des conseils de Philippe Petrucciani, le frère guitariste. Imaginé avec un comédien, il se mue en un duo, le piano dialoguant alors avec la contrebasse de François Perrin. Avec « respect et humilité », ils interprètent uniquement les compositions originales du musicien, aussi nombreuses que variées « tant sur le plan stylistique que de la forme ». Grâce à la partie funk de certaines d’entre elles, le musicien nivernais a ressorti « l’instrument de [ses] débuts : la basse électrique. »

Tandis qu’avec Tribute to Virgin Suicides (2017), Franck Grière substitue une vidéo originale (Yann Dupont) au film de Sofia Coppola, s’intéresse à sa B.O. signée du duo Air, mais en refond les harmonies pour un ensemble à la fois acoustique et électrique, il cache le Mark Spiler 5tet, au public afin de « ne servir que la musique, et [la] colorer avec des images. »


[i] Démarche artistique dans laquelle s’inscrit La Leçon des jours (2013).  

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