TWINS / Collectif La Boutique & Vincent Peirani

Crédit photo : Atelier Marge Design / Romain Bassenne

Pascal Anquetil

Une recrudescence certaine

Si on définit le mot “recrudescence” comme “reprise subite avec une intensité accrue d’un phénomène”, le terme est approprié pour témoigner de l’augmentation quasi exponentielle du nombre de collectifs de jazz en France lors cette dernière décennie. S’il est difficile de donner un chiffre exact, on peut estimer aujourd’hui son nombre à plus d’une soixantaine. Parmi les plus originaux, il faut citer en priorité : Coax, Loo Collectif, Onze Heures Onze, Collectif Déluge (Paris), La Boutique, Collectif Pegazz et l’Hélicon, Zoot Collectif (Ile-de-France), 1Name4ACrew (Nantes), le Tricollectif (Orléans), les Vibrants Défricheurs (Rouen), Collectif PAN (Basse Normandie), la Compagnie Impérial (Languedoc), Veston Léger (Centre), Collectif Koa (Montpellier), le Maxiphone (Tulle), Muzzix (Lille), Collectif OH ! (Strasbourg). La liste n’est bien sûr pas exhaustive. Ainsi, selon le dernier recensement de Jazz(s)RA, la plateforme des acteurs du jazz Auvergne-Rhône-Alpes, la région ne compte aujourd’hui pas moins d’une trentaine de collectifs. Parmi ces enfants ou petits-enfants de l’Arfi, citons : le Bocal, le collectif Pince-Oreilles, la Forge, la Cie du Facteur Soudain, le Grolecktif, l’Arbre Canapas, etc.

Le terme de « collectif » depuis une vingtaine années doit une partie de son succès au flou artistique qui entoure sa définition. De nature foncièrement polymorphe, le collectif ressemble à une nébuleuse aux contours mouvants, agrégeant les musiciens par cercles concentriques autour d’un noyau dur. Cela peut être un leader charismatique (Bernard Lubat) ou une coalition de personnalités fortes (exemple : le Tricollectif avec les frères Théo et Valentin Ceccaldi, Roberto Negro, Quentin Biardeau et Florian Satche). La direction peut être aussi partagée et collégiale comme chez la Boutique ou les Vibrants Défricheurs.

La plupart du temps, s’inscrivant dans une logique territoriale, le collectif aime à casser les codes, bousculer les cadres institutionnels comme les cloisonnements stylistiques. En opposition avec une industrie musicale qui s’obstine à promouvoir « la » vedette, le collectif revendique d’une voix à la fois plurielle et singulière le droit de défricher de nouveaux territoires, d’interroger la forme actuelle du concert et d’inventer un nouveau type de compagnonnage, une aventure communautaire plus ou moins provisoire ou projetée sur la longue durée. Ne l’oublions pas, c’est souvent aussi pour une question de survie individuelle (économique autant qu’artistique) que le musicien isolé choisit de rejoindre les rangs d’un collectif. Pour y trouver entraide et stimulation, réconfort et avenir. Pour y expérimenter une autre façon de résister à plusieurs contre le conformisme et le formatage musical dominant.

Les objectifs du collectif sont aussi multiples que variés : améliorer la visibilité et la diffusion des projets imaginés en commun, faciliter les circulation des musiciens dans leur région mais aussi sur le territoire national, se doter d’une structure de production phonographique indépendante, développer des partenariats forts avec les institutions culturelles, faciliter l’accès aux aides des sociétés civiles, mécénats, fonds d’aides, enfin mutualiser leurs moyens pour se doter de l’aide d’un administrateur, d’un chargé de production ou de communication.

En vingt ans, tous les observateurs de la scène française du jazz ont pu constater que le niveau des musiciens n’a cessé de s’élever. Comme leur nombre, aussi. Sur son blog Jean-Jacques Birgé a trouvé une appellation pour désigner ces touche-à-tout rieurs et baroudeurs, ces nouveaux improvisateurs sans œillères ni frontières qui pendant leur apprentissage (le plus souvent dans les conservatoires, voire au CNSM de Paris) ont su digérer le bop, le free, le rock, la pop, la techno, mais aussi les musiques traditionnelles ou contemporaines, mondiales ou électroniques :  les « affranchis » : « Ce sont des virtuoses très érudits qui composent, improvisent et ont un sens aigu du « faire ensemble » alors que le milieu plus traditionnel du jazz pousse à l’individualisation des parcours artistiques.” Grâce à certains aînés qui ont su préparer le terrain pour permettre leur envol aujourd’hui, ces jeunes jazzmen ont choisi de ne plus être dans une concurrence sauvage, mais dans une solidarité fraternelle. Pour mieux forcer les portes qu’on croyait closes et ouvrir de nouveaux espaces de liberté.

Aujourd’hui Grands Formats, la fédération nationale des grands ensembles de jazz (qui compte aujourd’hui en ses rangs 90 membres) a décidé il y a peu d’accueillir en son sein les collectifs de jazz. Quinze d’entre eux en font désormais partie. Quels critères de sélection la fédération a-t-elle édictés pour y être admis a en tant que membre actif ? Énumérons les plus essentiels : avoir été fondé et être dirigé par un ou plusieurs artistes ; comprendre au minimum huit musiciens professionnels ; être porteur d’un projet artistique identifié et de qualité contribuant notamment à l’élargissement du répertoire des grandes formations, du jazz et des musiques improvisées ; être inscrit dans la durée et compter trois ans d’activité minimum ; présenter une activité de concerts significative ; être porté par une structure professionnelle ; enfin avoir une existence juridique propre ou rattaché à une structure juridique indépendante « Quand on étudie une nouvelle candidature, précise Aude Chandoné, déléguée générale de Grands Formats, on regarde surtout si on a affaire à un « vrai » collectif et non pas juste à une association qui s’apparenterait à une boite de production dont le seul but serait de faire tourner des groupes. Pour notre fédération, le collectif doit rassembler des artistes qui travaillent et décident vraiment ensemble. On se doit donc de vérifier s’ils manifestent une envie commune d’engagement, un réel désir de militantisme politique en quelque sorte.”

Très dynamique coopérative de musiciens franciliens qui n’a eu de cesse depuis sa création en 2008 de se construire une identité artistique forte et transversale autour des musiques de création, Coax est à ce jour le seul collectif de jazz à avoir été labellisé “Compagnie Nationale”. Qu’est-ce à dire ?Dans la foulée des mesures prises par le ministère de la Culture en 2016 et allouant de nouveaux moyens aux compagnies indépendantes, a été créée cette nouvelle forme d’aide aux collectifs qu’ils viennent du monde de la danse, du théâtre ou de la musique). A savoir un conventionnement entre l’État et leurs équipes artistiques dans le but de permettre à ces dernières de consolider leur modèle économique et de mieux assurer leur développement national et international. Il faut souhaiter qu’aujourd’hui comme demain d’autres collectifs issus du monde du jazz et des musiques improvisées puissent bénéficier à leur tour d’un tel conventionnement.

Retrouvez la troisième et dernière partie de ce dossier en décembre 2020 sur Tempo webzine !

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