Michel Pulh

Crédit photo : Paris Jazz Club

Un lent cheminement a conduit à la formation en 2016 de cet orchestre inspiré du Brotherhood of Breath sud-africain, dont le souffle musical était épris de liberté, d’égalité et de fraternité.

Qui assistait à ce concert au Théâtre des Arts à Cluny, le 19 août 2016, se souvient certainement de ces dix musiciens qui ont offert au public, très vite enthousiaste, une musique joyeuse, dansante, chaleureuse et pour tout dire : heureuse. Michel Marre, Alain Vankenhove (tp), Jean-Louis Pommier, Mathias Mahler (tb), Chris Biscoe, Raphaël Imbert, François Corneloup (cl, s), François Raulin (p), Didier Levallet (cb) et Simon Goubert (dm) conjuguaient au présent les accents de musiciens venus d’Afrique du Sud, mis au ban par le régime de l’apartheid, pour la simple raison qu’ils avaient établi que Noirs et Blancs sont ressemblants comme deux gouttes d’eau. En 1966, Mongezi Feza (tp), Dudu Pukwana, Nikele Moyake (s), Chris McGregor (p), Johny Dyani (b) et Louis Moholo (dm), ceux qui s’appelaient alors les Blue Notes, descendaient d’un avion en Suisse munis d’un billet sans retour possible. Ainsi s’ouvrit l’aventure européenne de cet orchestre qui ne tarda pas à porter le titre bien nommé de Brotherhood of Breath (Confrérie du Souffle). Nulle surprise donc, 50 ans plus tard à ce que la formation qui a joué dans Jazz Campus en Clunisois s’appelle Brotherhood Heritage.

Mais rembobinons.

La musique de cette troupe, de cette confrérie sujette à fluctuations au gré des circonstances de la vie musicale, n’a pas manqué d’attirer l’attention et de séduire des acteurs du jazz en France. En 1977, le label bordelais Musica Records (Gérard Terronès) enregistra en solo Chris McGregor qui s’était établi en 1974 dans le Lot-et-Garonne. À Angoulême le Brotherhood of Breath avait gagné un aficionado en la personne de Christian Mousset, un disquaire qui invita le pianiste sud-africain en 1976 pour la toute première édition de son festival : Jazz en France. L’année suivante, c’est le Brotherhood au complet qu’il accueillit ; et c’est justement à Angoulême, bien indistinctement encore, que se profila ce qui conduirait à l’Heritage de 2016.

Il se trouve qu’au programme de Jazz en France 1976 jouait aussi Didier Levallet qui avait « des liens assez étroits » avec Christian Mousset. Cette première édition du festival angoumoisin était « assez conviviale et coopérative » se rappelle le contrebassiste, la soirée finale réunissant tous les musiciens sur la scène. Un second acte, toujours à Angoulême, se situe en 1981, avec la présentation d’un Brotherhood « très différent » de l’original et qui n’a « quand même pas retrouvé complètement l’esprit du premier ». Il comprenait en effet des musiciens, allemand, anglais, autrichien et français, dont Didier Levallet aux côtés du bassiste Ernest Mothle.

À Angoulême encore, où à partir de 1985 le festival devint Musiques Métisses, les formations de Chris et de Didier allaient de nouveau se côtoyer et les deux musiciens se retrouver ailleurs dans des trios ou quartets. Mais en 1992, quand le contrebassiste rejoignit une dernière fois le Brotherhood à Genève, Chris McGregor n’était plus là ; depuis deux ans.

D’autres responsables de festivals connaissaient le Brotherhood of Breath depuis son arrivée en Europe. Avec patience et insistance ceux-ci suggérèrent au musicien de « monter un orchestre [afin de] remonter [son] répertoire. » Le déclic se produisit en mai 2013 au Mans dans Europa Jazz, à la création de Voix Croisées par le quintet de Didier Levallet : pour le bis du concert il avait choisi de jouer, non pas la reprise d’une composition au programme, mais Sonia de Mongezi Feza, le trompettiste du Brotherhood.

Il restait à prendre artistiquement la mesure de la tâche. Bien « qu’adorant cette musique », Didier Levallet ne se voyait cependant pas réaliser seul les arrangements ; il s’adjoignit François Raulin qui, au mois d’août suivant, animait un atelier d’orchestre dans Jazz Campus en Clunisois : Africa roots and fruits. Le pianiste avait effectué plusieurs séjours en Afrique afin d’y approfondir certaines pratiques musicales et instrumentales. Témoignant par ailleurs d’une empreinte plus intime de cette musique, les deux arrangeurs inscrivirent quelques compositions personnelles dans le programme du Brotherhood Heritage qui naquit au public le 7 mai 2016 à Coutances (Jazz sous les Pommiers) et donna treize concerts jusqu’en mars 2018. « Les gens qui nous ont fait jouer avaient cette histoire en tête », conclut Didier Levallet.

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